Céline et la Collaboration

 

     Fidèle à son attitude d'avant-guerre, qui l'avait vu s'engager progressivement et s'insérer au sein de l'extrême droite française, Céline fréquente avec assiduité sous l'Occupation les milieux collaborationnistes parisiens ainsi que les diverses organisations fascisantes mises en place à la faveur des événements : il figure parmi les personnalités présentes (il avait d'ailleurs été invité) à l'inauguration de l'Institut d'étude des questions juives du 11 mai 1941, ainsi qu'à celle de l'exposition "La France européenne" du 31 mai 1941. Sa présence (mais aussi celle de sa compagne Lucette Almanzor, bientôt Destouches) est en outre signalée par L'Émancipation nationale lors d'un meeting de Jacques Doriot sur la LVF au Vel'd'hiv le 1er février 1942 (a-t-il été invité?). Le 20 mars 1942, Céline assiste au banquet organisé à l'occasion du cinquantenaire de La libre parole (journal antisémite fondé en 1892 par Édouard Drumont). On peut de plus noter son intervention au déjeuner organisé par la Commission d'Études judéo-maçonniques le 29 octobre 1942, durant lequel il fait "un vibrant appel en faveur de la vraie Révolution qui ne pourra pas être considérée comme amorcée tant que le mur d'argent de la juiverie restera debout" (déclarations rapportées par le journal L'Appel du 5 novembre 1942), ainsi que celle qu'il prononce devant le Groupement Corporatif Sanitaire Français lors d'une réunion  qui a lieu le 20 décembre 1942, et dans laquelle il vitupère contre "tous les philosémites", contre " les facéties d'une Révolution Nationale qui maintient une Juive dans un dispensaire de banlieue à la place d'un médecin aryen installé depuis quinze ans", et qu'il conclut en proclamant que "La France s'est enjuivée jusqu'à la moelle..." ( Cahiers Céline, n°8, p.175-176). 

   Céline, de surcroît, figure en 1942 parmi la liste des membres du Cercle européen et  fréquente sous l'Occupation régulièrement l'Institut allemand. Sans même appartenir à un quelconque journal ou être membre d'un parti, il devient une figure familière du Paris collaborationniste, au sein duquel il côtoie bon nombre de ses amis tels que Lucien Rebatet, Ralph Soupault (caricaturiste pour les journaux Au pilori et Je suis partout ),  l'acteur Robert Le Vigan, Henri Poulain (alors secrétaire de rédaction de Je suis partout), Lucien Combelle, Jean Lestandi, Armand Bernardini, Paul Marion, le professeur Montandon..., mais aussi des Allemands hauts placés dans la hiérarchie des troupes d'occupation comme Karl Epting (dirigeant de l'Institut allemand à Paris), le Docteur Knapp (des services de santé du Reich), le gestapiste Hermann Bickler...

 

Ralph Soupault (1904-1962)

Paul Marion (1899-1954)

  

   Céline signe aussi le "Manifeste des Intellectuels français contre les crimes anglais", (publié dans Le Petit Parisien du 9 mars 1942, et dans les Cahiers de l'Émancipation nationale d'avril de la même année), qui proclame : 

"Si la France et l'Allemagne s'entendent, l'Angleterre est perdue. Elle le sait. Si la France et l'Allemagne s'entendent, la France est sauvée. Comprenez-le. (...) La Grande-Bretagne, qui a toujours affiché le plus profond mépris pour les populations coloniales qu'elle avait conquises, demeure fidèle à sa conception que les nègres commencent à Calais." ( Cahiers Céline, n°8, p.236-238)

    Mais son attitude ne reste pas strictement passive : Céline organise en décembre 1941, dans le cadre du journal Au Pilori, une réunion sur la question du racisme et du socialisme. Le projet en est exposé lors d'une déclaration faite à des journalistes du brûlot, rapportée dans le numéro du 11 décembre 1941, dans laquelle il explique : 

"Le grand malheur dans l'époque présente, c'est le manque de liaison entre les Français qui ont la redoutable mission d'éclairer l'opinion publique et de diriger les mouvements politiques. Cette liaison, il faut l'établir. AU PILORI se doit de réaliser ce magnifique programme. (...) Antijuif de la première heure, j'ai quelquefois l'impression que je suis, sinon dépassé par certains nouveaux, tout au moins qu'ils ont des conceptions entièrement différentes des miennes sur le problème juif. C'est pourquoi il faut que je les rencontre, il faut que je m'explique avec eux. Tous les Français antijuifs, sans exception, sont exactement dans les mêmes dispositions d'esprit que moi. Ils ne comprennent plus. D'une part, on leur parle d'une Europe nouvelle qui, au point de vue politique, sera régie par le principe national-socialiste, et d'autre part, ils ont l'impression que ceux qui sont soutenus pour rallier les Français à cette Europe nouvelle ont sur le socialisme des idées entièrement différentes des principes socialistes qui ont été incorporés dans le national-socialisme. Quelles questions j'ai à poser ? En voici une qui me vient tout naturellement à l'esprit : chaque fois que Hitler prend la parole, il engage formellement la responsabilité des Juifs quant au déclenchement de la guerre européenne. Alors, pourquoi vous, qui voulez vous incorporer dans le National-Socialisme, n'engagez-vous pas également officiellement cette responsabilité ? Autre question : Êtes-vous raciste comme tous les nationaux-socialistes dont Hitler fut, dès la première heure, le porte-parole, ou êtes-vous antiraciste? Si vous êtes raciste, pourquoi n'en parlez-vous jamais? Si vous êtes antiraciste, vous ne pouvez pas vous incorporer dans la politique nationale-socialiste." ( Cahiers Céline, n°8, p.143-144)

   Apparemment, la tendance politique du Pilori semble bien correspondre à l'idée qu'il se fait du "Redressement national" ! Sous l'égide de Céline, l'équipe du journal organise donc cette réunion à laquelle sont conviés, entres autres (et selon ses suggestions) : Marcel Bucart, Alphonse de Chateaubriant, le professeur Montandon, Marcel Déat, Eugène Deloncle, Louis Darquier de Pellepoix, Lucien Combelle, Georges Suarez,... Bref, tout le gratin de la collaboration parisienne. Y seront présents, bien que n'ayant pas été initialement invités, les journalistes de Je suis partout Pierre-Antoine Cousteau (le frère du célèbre océanographe) et Henri Poulain. Dans son numéro du 25 décembre 1941, Au Pilori relate avec un grand enthousiasme l'événement : 

"Céline prit la parole et résuma en des formules brèves et saisissantes le drame de la nation française. (...) tous les assistants tombèrent d'accord sur les trois points suivants : 

1. Racisme : régénération de la France par le racisme. Aucune haine contre le Juif, simplement la volonté de l'éliminer de la vie française. (...)

2. L'Église doit prendre position dans le problème raciste. 

3. Socialisme : Aucune discussion possible tant qu'un salaire minimum de 2.500 francs ne sera pas alloué à la classe ouvrière. (...)

Il est nécessaire de redonner au peuple français le goût du beau et de l'effort et de remplacer le matérialisme sordide dans lequel il vivait par un peu d'idéal. C'est à cette seule condition que la France pourra sortir de l'abrutissement où l'ont plongée trois quart de siècles de domination juive" ( Cahiers Céline, n°8, p.145-146)

   Quels que soient ses dires d'après-guerre, Céline n'est en rien resté isolé du monde de la collaboration sous l'Occupation. Dans ces circonstances, on comprend sa précipitation à quitter Paris en juin 1944, au moment du débarquement allié, pour se réfugier en Allemagne nazie.

 

Céline, lors d'une réception chez le sculpteur nazi Arno Brecker,
ici en compagnie de l'écrivain René d'Ueckermann (Allemagne, 1943)

 

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LE PROCÈS CÉLINE