les beaux draps et la réédition des pamphlets
Lucette Destouches (la veuve de Céline) déclarait, dans son Céline secret que Les beaux draps, le dernier des pamphlets céliniens, avait été rédigé en 1939 et publié en 1940. A cela, il est facile de répondre que l'ouvrage, qui traite pour une bonne partie de la débâcle, ne peut être antérieur à juin 1940... Il est d'ailleurs lancé en librairie le 28 février 1941, en pleine occupation allemande, ce qui en change complètement la portée. Il faut reconnaître que pour les proches de l'auteur, il y a de quoi être embarrassé par le contenu du pamphlet. Antisémite, comme l'on pouvait s'y attendre (les Juifs et les Franc-maçons sont bien évidemment rendus responsables de la défaite), l'ouvrage est aussi l'occasion pour son auteur de rappeler, alors que la Wehrmacht occupe près des deux-tiers du pays, ses sentiments pro-allemands :
" C’est la présence des Allemands qu’est insupportable. Ils sont bien polis, bien convenables. Ils se tiennent comme des boys scouts. Pourtant on peut pas les piffer... Pourquoi je vous demande ? Ils ont humilié personne... Ils ont repoussé l’armée française qui ne demandait qu’à foutre le camp. Ah, si c’était une armée juive alors comment on l’adulerait! " (p.40)
ou encore, p.44, évoquant ceux que l'Occupation allemande incommode : " La présence des Allemands les vexe ? Et la présence des juifs alors ?''.
Céline ne s'arrête cependant pas à un constat affligeant de la situation : il propose ses solutions, sa vision du ''redressement national'' :
"Une nation prolifique, ardente, se relève admirablement des plus grands torchons militaires, des plus cruelles occupations, mais seulement à une condition, cette condition très essentielle, mystique, celle d’être demeurée fidèle à travers victoires et revers aux mêmes groupes, à la même ethnie, au même sang, aux mêmes souches raciales, non abâtardies, celles qui la firent triompher, souveraine, aux temps d’épreuves et de conquêtes, de s’être malgré tout préservée des fornications de basses races, de la pollution juive surtout, berbère, afro-levantine, des pourriseurs-nés de l’Europe (...) tout pays contaminé juif dégénère, languit et s’effondre, la guerre ne le tue pas, l’achève. " (p.67-68)
On croirait lire Mein Kampf... Ce nouveau pamphlet est néanmoins assez peu conforme au discours vichyste : Céline y fustige de manière assez claire la Révolution nationale et raille la déroute française, ce qui vaut à l'ouvrage d'être interdit en zone libre à la fin de l'année 1941, apparemment pour "injure à l'armée" (on est alors en plein procès de Riom, et l'idée de responsabilité de l'armée dans la défaite est particulièrement embarrassante pour le nouveau régime). Il faut préciser ici que cela ne fait en rien de Céline, comme aimeraient nous le faire croire tant de ses thuriféraires, un opposant au fascisme ou une sorte de résistant incompris. C'est une erreur très répandue que d'assimiler systématiquement, quand on évoque aujourd'hui le contexte politique de la France durant la Seconde guerre mondiale, le milieu vichyste, d'inspiration conservatrice et soutenu par l'Église catholique, à celui des "ultras" de la collaboration parisienne, auquel appartenait Céline. Bien souvent très critiques à l'égard du régime du Maréchal, qu'ils accusent en particulier de tiédeur dans ses relations avec l'Allemagne nazie (Lucien Rebatet, dans ses Décombres, p.627, parle de Vichy comme d'une "dégénérescence de la démocratie bourgeoise" ), ces derniers rêvent pour la France d'un révolution de type fasciste. Quoi qu'il en soit, l'ouvrage est accueilli avec beaucoup d'enthousiasme par l'ensemble des milieux collaborationnistes ; il est régulièrement réédité jusqu'à la Libération et constitue un nouveau succès commercial pour Céline.
La période de l'Occupation est aussi l'occasion pour Céline de procéder à la réédition de ses deux pamphlets d'avant-guerre, l'école des cadavres (en 1941 et en 1942), et les Bagatelles pour un massacre (en 1941 et en 1943).
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Couvertures des rééditions de L'École et des Bagatelles (1942 et 1943)
Dans la préface que contient la réédition de 1942 de L'école des cadavres, Céline s'enorgueillit d'avoir, avec ce second pamphlet, rédigé "sous Daladier" un livre qui "était le seul texte à l'époque (...) à la fois et en même temps : antisémite, raciste, collaborateur (avant le mot) jusqu'à l'alliance militaire immédiate, antianglais, antimaçon, et présageant la catastrophe absolue en cas de conflit" (p.11-12).
La réédition des Bagatelles d'octobre 1943 est, elle, assortie de 20 photographies hors-textes bien dans le ton de l'ouvrage. L'un de ces clichés est particulièrement édifiant : représentant deux juifs hassidiques (barbus et portant les manteaux et les chapeaux traditionnels), il est légendé : DEUX GAULLISTES POLONAIS 1943. Le Reich nazi a beau être en pleine déroute, il semble pouvoir continuer à compter sur le soutien de Céline.