Une attitude toujours trouble

 

"L'Europe est morte à Stalingrad"

Céline, Rigodon

 

 

   De retour en France, Céline s'installe avec son épouse à Meudon, et reprend ses activités médicales et littéraires. On lui doit notamment, de cette période, sa fameuse Trilogie allemande, composée des ouvrages D'un château l'autre, Nord, et Rigodon. Il y relate sa fuite en Allemagne face à l'avance des forces alliées, notamment à Sigmaringen, dans la colonie des collaborateurs français, et son arrivée au Danemark. Bien entendu, ces publications d'après-guerre ne contiennent plus aucune allusion pro-nazie. Mais il faut bien se rendre à l'évidence : Céline n'a visiblement pas abjuré, car les propos racistes et douteux y sont nombreux. Dans D'un château l'autre, par exemple, (p.79-80 de la version Folio), évoquant sa mise à l'index après la guerre :

 

"c'est le Voyage qui m'a fait tout le tort... mes pires haineux acharnés sont venus du Voyage... personne m'a pardonné le Voyage... depuis le Voyage mon compte est bon!... encore je me serais appelé Vlazine... Vlazine Progrogrof... je serais né à Tarnopol-sur-Don... mais Courbevoie Seine!... Tarnopol-sur-Don j'aurais le Nobel depuis belle!... mais moi d'ici, même pas séphardim! (NDLA : séfarade, juif originaire du bassin méditerranéen) ... on ne sait où me foutre!... m'effacer mieux!... honte de honte! (...) Naturalisé mongol... ou fellagah comme Mauriac, je roulerais auto tout me serait permis, en tout et pour tout (...) je me ferais tout le temps téléviser, on verrait mon icône partout! (...) je serais né à Tarnopol-sur-Don, je ferais en moyenne deux cents sacs par mois rien que du Voyagski! "

  

   Ici, pas question des Bagatelles. Si Céline est tombé en disgrâce après la Libération, c'est uniquement parce qu'il a le tort d'être blanc... D'ailleurs, comme au temps de l'Occupation, Céline se préoccupe du sort de la race blanche : 

 

"Il n'y a qu'une seule religion : catholique, protestante ou juive... succursales de la boutique "au petit Jésus"... qu'elles se chamaillent s'entretripent ?... vétilles!... corridas saignantes pour badauds ! le grand boulot le seul le vrai leur profond accord... abrutir, détruire la race blanche." ( Rigodon, p.18, version Folio)

 

   On aimerait pouvoir parler, pour prendre sa défense, d'une Trilogie allemande écrite par un repenti ayant tiré les conclusions qui s'imposaient de ses errements idéologiques et de ses mésaventures... Visiblement, il n'en est rien. Du reste, quand on l'interroge sur la question de son attitude sous l'Occupation dans les années 50, Céline répond par un déluge de mauvaise foi. Il déclare notamment au journaliste Albert Zbinden venu l'interviewer en 1957 : 

A. Zbinden : "Disons le mot, vous avez été un antisémite.

L.F. Céline : ... exactement dans la mesure où je supposais les sémites nous pousser dans la guerre, sans ça (...) je ne me trouve nul part en conflit avec les sémites." ( sic )

ou encore, plus loin :

"je n'ai jamais collaboré à aucun journal, ni donné des interviews, ni parlé à la presse, ni voté, ni fait parti d'un parti, je suis absolument indépendant (...) comme écrivain je croyais dans ma vanité pouvoir influencer qui que ce soit en faveur de la paix. C'est tout, strictement tout ! (...) Je n'ai jamais voulu que la paix !" (re-sic)

   Lors de la même interview, Céline ne pousse cependant pas la malhonnêteté jusqu'à nier ses sentiments pro-allemands sous l'Occupation : 

 "Je n'ai rien à me repentir de rien du tout, je n'ai jamais été partisan de ceci-celà, j'étais pour l'armée allemande parce qu'elle maintenait la paix en Europe, en France en particulier, et qu'elle l'aidait à conserver ses colonies." (re-re-sic)

   En d'autres termes, Céline n'a jamais été collaborateur, il était simplement... collaborationniste ! Mais qu'on le veuille ou non, un intellectuel ou un écrivain de renom qui affiche ouvertement ses sentiments pro-allemands dans le contexte de l'Occupation fait acte de collaboration en apportant sa caution morale à l'Ordre nouveau.

  L'inventaire des dernières relations de l'écrivain maudit laisse du reste pantois : Roger Nimier, mais aussi Albert Paraz, Antoine Blondin, Robert Poulet (ancien collaborateur belge), Marcel Aymé, Lucien Rebatet, Arletty,... ainsi que l'ancien colonel SS Hermann Bickler, en fuite depuis la fin de la guerre et que les tribunaux français ont condamné à mort par contumace.
Bref, la quasi-totalité des derniers amis de Céline est composée de personnes issues de l'extrême droite ou qui se sont elles aussi compromises sous l'Occupation.

 

INDEX

UNE RÉHABILITATION DOUTEUSE